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Les Capucins au Proche-Orient (1)
Publié le 09/08/2024

Mis à jour le 20 juin 2025
Pourquoi des catholiques français s’intéresseraient-ils à cette région lointaine, ravagée par la guerre, l’Islam et l’hérésie ? Parce que la France et notre Ordre y ont laissé une partie de leur histoire. Parce que notre Province capucine de Lyon, spécialement, a reçu cette terre de la part de la Sacrée Congrégation de la Propagation de la Foi (ou de Propaganda fide), afin d’y semer la parole de Dieu. Avant eux, cette contrée avait été labourée et fécondée par la Province de Touraine dont l’œuvre missionnaire « a été d’inaugurer d’une manière définitive et stable le mouvement de retour vers Rome chez les chrétiens orientaux. Mais pour atteindre ce résultat, ils durent introduire une nouvelle méthode d’évangélisation au milieu de ces contrées [à laquelle] il faut rapporter tous leurs succès »1. Avant de parler de cette méthode, donnons un petit tableau du Levant à l’arrivée de nos Pères.
1.État des lieux avant 1625 2
Les seuls catholiques du Proche-orient étaient alors les Maronites. Demeurés fidèles à Rome, ils étaient cependant dans un état d’ignorance et de corruption bien lamentable : « À leur arrivée à Beyrouth, à Saïda [ou Sidon] et au Mont Liban, nos Pères trouvèrent l’Église Maronite dans un état de décadence extraordinaire. Le mariage des prêtres a été de tout temps un des grands fléaux de l’Église orientale. Ceux-ci, chargés d’une famille plus ou moins nombreuse, contraints de s’occuper avant tout des besoins matériels de leur maison, n’ont plus le temps de travailler au salut et à l’instruction de leurs ouailles. De plus, le besoin les rend vénals. Ils ne font aucune fonction ecclésiastique, n’administrent aucun sacrement, même celui de pénitence, si ce n’est à prix d’argent. » Le peu de messes qui étaient célébrées l’étaient dans un chahut invraisemblable et, comme on l’imagine, plus personne ne se confessait.
Le reste des chrétiens était schismatique. À Antioche, les Grecs Melkites étaient séparés de Rome depuis le Xe siècle. En Arménie, en Judée et en Égypte ils étaient monophysites3 ou monothélistes4. Enfin, en Perse et Mésopotamie ils se divisaient en Nestoriens5, appelés Chaldéens ou Assyriens, et en Monophysites.
2.Les tentatives manquées du passé 6
Aux Conciles de Lyon I (1224) et de Florence (1438) eurent lieu quelques conversions d’évêques, mais leur peuple n’a pas suivi. En 1616, un Concile à Diarbékir des évêques chaldéens, sous le Patriarche Élie de Mossoul, renie le nestorianisme et fait profession de soumission à Rome… Mais le Patriarche suivant retournera au schisme.
La volonté (compréhensible au premier abord pour des missionnaires européens) de soumettre les Orientaux au rite latin eut des effets désastreux. Au XIVe siècle en Arménie, cela servit de prétexte aux évêques schismatiques contre les Dominicains, accusés de vouloir changer la religion de leurs Pères ; pour cette même raison, ces missionnaires furent expulsés en 1680. Autre exemple : en Éthiopie, le roi décida en 1620 d’abolir les rites et coutumes de son Église… imprudence qui causa une révolution et l’anéantissement des missions jésuites.
La solution radicalement opposée, consistant à laisser le converti fréquenter son rite au sein même des schismatiques, ne fut pas plus heureuse. Tentées par les Jésuites au XVIIIe siècle (mais aussi par le Bienheureux Agathange, capucin), ces conversions clandestines ne faisaient que de futurs renégats.
3.La méthode des Capucins en Touraine 7
Face à ces échecs, il devint nécessaire de rechercher le moyen de conversion le plus adapté à ces régions. « Au lieu de poursuivre le vain mirage des conversions collectives, [nos Pères] s’appliquèrent aux conversions individuelles, et au lieu d’attirer les nouveaux convertis au rite latin, ou de les laisser communiquer avec les schismatiques, ils créèrent pour ces nouveaux convertis une hiérarchie nouvelle selon leur rite, à côté de la hiérarchie ancienne abandonnée à son schisme... Du reste, pour les guider dans cette voie, en ce qui concerne les rites, nos Pères avaient l’autorité des faits récents et les directions déjà précises de la Cour romaine elle-même. »
Nous voyons donc que la méthode de l’Église employée par les Capucins du Levant consistait en deux choses : d’abord, ne pas se contenter de travailler à convertir seulement les Prélats schismatiques et les Princes dans l’espoir d’entraîner tout leur peuple (l’expérience en a prouvé l’insuffisance), mais aller au contact des âmes une à une : cela demande beaucoup de patience et d’énergie, mais le résultat est à ce prix. Ensuite, donner aux nouveaux catholiques les moyens de continuer à pratiquer leur rite, tout en les protégeant du contact des schismatiques.
Et maintenant, regardons les Capucins à l’œuvre mettre en application cette méthode et fonder, avec la grâce de Dieu et le soutien d’autres Ordres, les Églises unies du Proche-Orient.
4.Fondation du Patriarcat latin de Babylone (Bagdad)
Nos Pères arrivèrent à Bagdad en 1628. Le spectacle de leurs vertus et de leur pauvreté obtint la conversion de tous les Jacobites8 de la région, à savoir quarante familles. Le Révérend Père9 Juste de Beauvais, supérieur, reçut leur profession de foi et accepta, à leur demande, d’être leur chef (1636).
Dans la même période et sur le conseil des Carmes, Urbain VIII décida d’y établir un évêché latin avec juridiction sur l’Assyrie, la Perse et la Mésopotamie. Connaissant la susceptibilité des Orientaux, nos Pères capucins s’y opposèrent de toutes leurs forces… mais leur avis ne parvint pas assez tôt et le nouveau Prélat, Monseigneur Duval, fut envoyé à Ispahan (premier Siège). Comme on pouvait s’y attendre, le roi non prévenu en fut irrité et en blâma le gouverneur de Bagdad. Ce dernier se mit à persécuter les Capucins pour se disculper, les désignant comme les responsables du fait. Lors d’une réception du supérieur (R.P. Juste) à son palais, le gouverneur l’empoisonna le 1er Septembre 1638. Puis ce fut le tour du R.P. Toussaint de Landerneau, six jours après. Enfin il détruisit l’église des chrétiens. Malgré tout, ce Siège latin finit par s’installer et représente, encore aujourd’hui, l’autorité de Rome dans les régions extrêmes du Proche-Orient.
5.Fondation de l’Église chaldéenne unie
On se souvient de la conversion du Patriarche Élie de Mossoul10, obtenue alors par un Frère Mineur de l’Observance, R.P. Thomas de Navarre, mais suivie d’un retour au schisme. Pour ramener ce Prélat, la S.C. de Propaganda Fide ordonna au R.P. Juste de Beauvais (le même qu’au § 4) de fonder dans la région. Il envoya alors les Révérends Pères Michel-Ange de Nantes et Charles-François d’Angers, capucins, qui arrivèrent à Mossoul à Noël 1637, décidés à édifier par la sainte pauvreté. Leur réputation les précéda : ils furent reçus comme des prophètes et vénérés par les Turcs eux-mêmes. Le Patriarche se convertit mais, comme de coutume, son successeur retourna au schisme : tout était à recommencer.
C’est là que nos Pères comprirent qu’il fallait s’attacher à convertir chaque âme individuellement, afin que le retour soit solide. Le R.P. Jean-Baptiste de Saint-Aignan se distingua dans la réalisation de ce plan. Très versé dans la langue chaldéenne, il parcourut le pays avec zèle, fonda à Diarbékir avec trois autres capucins et obtint de nombreuses conversions (en 1672 il y avait déjà 4000 fidèles). Le prêtre nestorien Joseph, de Diarbékir, se convertit, fut sacré évêque et prêcha ardemment contre l’hérésie avec les missionnaires. Persécuté et même torturé, il se retira à Rome où Innocent XI lui conféra le titre de Patriarche des Chaldéens en 1681. Il fut le premier d’une série qui continua, gouvernant les Églises chaldéennes unies de Diarbékir, Mardin, Seert et Géziré.
6.Établissement des trois Églises unies syrienne, grecque-melkite et arménienne 11
Le R.P. Sylvestre de Saint-Aignan, Custode d’Alep, ramena à l’unité les trois Patriarches schismatiques d’Antioche, avec l’aide des Pères Carmes Déchaussés et des Jésuites. Ceux-ci le choisirent pour aller porter l’acte d’abjuration des Patriarches à Rome (1658), en tant qu’acteur principal de leur conversion.
Puis, de retour en Syrie, il y travailla jusqu’à sa mort (1670) qui fut célébrée comme un triomphe à sa mémoire, par chacune des communautés, dans leur rite propre : « Ce triomphe, du reste, n’avait rien d’exagéré, car l’œuvre du R.P. Sylvestre allait être pour cette contrée le point de départ d’une transformation religieuse. Ces trois conversions en effet ne furent pas, comme tant d’autres, de vaines tentatives de rapprochement sans durée ; elles déterminèrent un mouvement de retour vers Rome, qui alla toujours se précisant et se fortifiant et qui depuis lors ne s’est jamais arrêté. Trois Églises orientales unies sont sorties de là ... »
La première abjuration du Patriarche syriaque (Monseigneur Akigian) eut lieu en 1658. Ses successeurs furent persécutés et parfois exilés mais demeurèrent fidèles. Le Patriarcat syrien put enfin s’établir de manière stable en 1783.
Pour l’Église Melkite, le Patriarche Macaire fut réuni à Rome et, en 1687, la hiérarchie catholique grecque-melkite était régulièrement constituée, sous son successeur Dionysios.
L’histoire de l’Église arménienne est plus complexe. Au cours de siècles de persécution, le Siège patriarcal parti d’Etchmiatzin (300) a dû être déplacé à Cis, puis à Aghatamar. Une faction s’installa à Jérusalem (1307) et une autre à Constantinople (1459) … Au terme de quoi on trouvait au XVIIe siècle : un Catholicos (Etchmiatzin) et quatre Patriarches. C’est celui de Cis en Cilicie (Cacciadour) qui fut converti par le Père Sylvestre. Son successeur (retombé puis reconquis) subit une grande persécution et se réfugia à Rome. Une église catholique arménienne se constitua à Alep ; n’ayant plus d’évêque après 1720, elle demeura sous juridiction schismatique jusqu’en 1829.
(à suivre... Les Capucins au Proche-Orient (2))
1 - R.P. Hilaire de Barenton O.F.M. Cap, La France catholique en Orient, Paris 1902, p.140.
2 - Ibidem, p.155. La principale source de cet article est l’ouvrage cité du R.P. Hilaire. La référence donnée en tête de paragraphe désignera la partie du livre où nous avons puisé les informations résumées sous ce titre.
3 - Hérétiques affirmant une seule nature en Notre-Seigneur Jésus-Christ, pour défendre son unicité de Personne. En réalité, le Christ a les natures divine et humaine.
4 - Hérétiques affirmant une seule volonté en Notre-Seigneur Jésus-Christ. En réalité, le Christ a deux volontés, correspondantes à ses deux natures.
5 - Hérétiques affirmant une double personnalité en Notre-Seigneur Jésus-Christ. En réalité, le Christ n’est autre que l’unique Personne divine du Verbe, existant sous deux natures.
6 - Ibidem, p.140-141.
7 - Ibidem, p.142.
8 - Monophysites syriens fondés par Jacques Baradaï (†578), moine de Constantinople sacré secrètement évêque d’Edesse qui organisa cette Église schismatique déguisé en mendiant (« baradaï » signifie guenille).
9 - En abrégé : R.P.
10 - Voir §2 du présent article.
11 - R.P. Hilaire de Barenton O.F.M. Cap, La France catholique en Orient, Paris 1902, p.149 sv.
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